A l'Ecole de Soulas
Le 1er janvier 1938, Louis-Joseph Soulas fut nommé directeur de l'Ecole des Beaux-Arts d'Orléans, fonction qu'il occupa jusqu'à sa mort en 1954. Il assurait en même temps les cours de gravures, et quelques cours de croquis et de dessin d'art.
Laissons la parole à Claude Kervennic qui fut son élève, et, plus tard, eut en charge les cours de peinture dans cette même école :
Ci-dessus, L-J Soulas examinant une épreuve qu'il vient de tirer sur sa presse taille-douce
(photo Burgevin, Orléans)
Laissons la parole à Claude Kervennic qui fut son élève, et, plus tard, eut en charge les cours de peinture dans cette même école :
"Soulas enseignait la gravure par l'exemple. Il gravait et tirait devant nous ses propres oeuvres. Si nous ne discernions pas toujours les cheminements de sa pensée poétique, nous étions cependant sensibles au spectacle fascinant de ses gestes. Tout était accompli dans une sorte de solennité grave, presque théâtrale...
Sur l'étroite table de gros chêne les fins copeaux surgissaient de la planche de cuivre. Sans hésitation, les tailles succédaient aux tailles et le dessin entier était gravé d'affilée. Soulas disposait de son burin aussi librement que d'un crayon. Aucune inflexion désirée par son esprit ou par son coeur ne lui était interdite...
Le moment venu du tirage d'une épreuve, il revêtait une blouse grise de marchand d'oranges et pendait à son ventre un tablier de feutre pâle où il dégraissait sa paume lors de l'essuyage de la planche qu'il ne trouvait jamais assez "nature". Puis après avoir tourné avec des efforts simulés, tâche honorifique qu'il nous déléguait parfois, le lourd volant de la presse en taille-douce, et claqué comme un maître imprimeur chevronné les "langes" sur le rouleau d'acier, il décollait précautionneusement le "Chine" délicat, se délectait à l'avance du mystère graphique, de la sensualité abstraite du noir et du blanc.
D'autres connurent Soulas directeur : costume marron rayé, ruban rouge depuis 1950 et cravate choisie, objet de commentaires variés, chemise quelquefois vert amande. Chapeau mou, très mou, pour "saluer en ville". Dans la poche du gilet un canif affûté, des ciseaux pliants pour la coupe des poils d'oreilles, un bout de crayon de deux centimètres. Se déplaçant à vélo, instrument quelque peu vétuste. L'inséparable carton à dessin muni de courroies pratiques.
Ponctuel, soucieux du "matériel de la Ville", conscient de ses responsabilités, il notait au jour le jour sur un agenda la vie de notre école. Sans grandes illusions sur nos talents, il s'ingéniait par mille prévisions menaçantes à nous faire prendre conscience des difficultés du métier que nous avions choisi. Mais, pressentant bientôt notre découragement, il ne savait que faire pour nous rendre confiance. Ce qui un instant plus tôt était l'épouvantable destin de l'artiste devenait peu à peu le paisible métier d'artisan dont il se réclamait : savoir travailler et le faire de son mieux, refuser l'illusion et choisir, de deux routes, la plus difficile. Nous effleurions alors notre papier d'un crayon un peu moins désinvolte...
Soulas corrigeait nos dessins de son crayon nain. Souhaitant nous rendre sensibles à la ligne pure et souple, d'une venue, il enlevait "la paille" de nos traits hésitants et hachés, ajoutant en leitmotiv : "Faites des petites têtes et des grosses mains, ça donne du caractère." D'autres fois, il nous faisait copier, d'après Holbein et Cranach, des portraits de princes anglais ou d'électeurs de Saxe, visages cruels à faire rêver et dessins prodigieux auxquels il s'efforçait de nous sensibiliser, nous enseignant la sainte horreur des conventions artistiques. Cela s'achevait en un laborieux parallèle entre l'Ecole des Beaux-Arts et la Caserne des Pompiers, sa voisine...
Il savait la faiblesse des jeunes en face de ce que l'art exigerait d'eux. Cependant il faisait confiance au moindre signe d'une vocation tenace et tous étaient assurés de trouver près de lui, lors du difficile passage de l'école de la vie, encouragement, soutien et dévouement.
En même temps qu'un prestigieux ouvrier et un poète, nous avions près de nous un homme généreux et bon. Il y avait dans cette conjonction exemplaire une telle force d'éducation que, pour nous, l'art de dessiner, c'était aussi et surtout l'art de vivre."
Ci-dessus, L-J Soulas examinant une épreuve qu'il vient de tirer sur sa presse taille-douce
(photo Burgevin, Orléans)