Les Bêtes de la Nuit
LES BETES DE LA NUIT - Louis-Joseph SOULAS
Contes fantasmagoriques - Se trouve à Orléans chez l'auteur - 1951
21 burins gravés par Louis-Joseph SOULAS
In-8 en feuillets, chemise et étui
Tiré à 150 exemplaires numérotés + 20 exemplaires hors commerce
INCIDENT AU CHÂTEAU (texte de L-J Soulas extrait des Bêtes de la Nuit)
Je gravissais les sept perrons du château du marquis du Haut-Bois de la Gaillardise, j'étais en retard, et j'avais une forte migraine. J'entrai d'abord dans un petit salon d'où j'entendais les bruits assourdis de la fête. Mais, se croyant seule, la vieille marquise à lunettes d'or rattachait ses jarretières avec une corde à faucheuse ; je reculai silencieusement sur la pointe des pieds.
Me trouvant alors en présence de grands laquais à favoris bleus, je fus introduit dans la spacieuse galerie des dioramas, où un orchestre maure jouait la célèbre marche des écrevisses. Tendant le buste, je me dirigeai vers le maître de la maison, traversant des groupes d'invités richement costumés à l'ancienne.
A ce moment, mon chapeau de haute forme, que j'avais oublié sur ma tête, fut soulevée par une force inconnue, tomba sur le parquet avec un bruit de porcelaine brisée, et j'aperçus ma silhouette dans les glaces qui ornaient la galerie. Mon visage était d'une pâleur de cire, et, sur ma tête, des sortes de cornes de cerf m'étaient poussées subitement. Je continuai néanmoins à m'approcher du marquis qui me regardait en souriant, et je vis soudain que lui aussi portait à son front d'immenses ramures. Feignant de n'en rien voir, nous nous inclinâmes face à face (mon plastron trop empesé me coupait l'estomac), mais nous ne pûmes nous redresser, nos bois s'étant enchevêtrés.
Et nous tirâmes et gesticulâmes de façon fort cocasse au milieu de l'hilarité générale, jusqu'à ce qu'une équipe de laquais bigarrés, armés de scies égoïnes, nous eût délivrés de cette position humiliante et grotesque.