Le Burin

Texte d'Etienne Cournault extrait du Catalogue de La Jeune Gravure Contemporaine édité en 1938, à l'occasion de l'Exposition du 10ème anniversaire de cette société



"Le trait, « la taille », est poussé par la paume invariablement de droite à gauche vers l'intérieur, c'est-à-dire de la main au coeur. Seul le cuivre pivote sans cesse autour de l'outil, la position de la main étant presque immuable. Le dessin une fois sommairement reporté sur la planche, il s'agit non pas de copier plus ou moins ce dessin en le creusant, mais de créer librement la gravure.

C'est le moment de prier Dieu.

Une joie, une force, viennent de l'esprit par le coeur dans l'épaule droite. L'épaule pousse cette force par le bras jusqu'à la paume qui, l'angle d'attaque sitôt trouvé, pousse elle-même le bec du burin qui entre dans le cuivre à la façon d'un soc de charrue. Au bout du sillon, le burin fait sauter le copeau de métal soulevé, puis le grattoir enlève toute trace de barbe, la taille devant être parfaitement nette et pure.

Ce n'est pas tant la poussée coupante que la retenue simultanée du burin qui peuvent sembler difficiles à unir dans un même effort.

Toute la fraîcheur et la liberté de cet art viennent de la diversité de cette poussée, de cette force à réserver ou à donner qui va d'un souffle, du seul poids de l'outil pour les tailles plus légères qu'un cheveu à un puissant effort pour les tailles les plus larges et profondes.

Une souplesse infinie doit retenir ou soutenir, maigrir, effiler ou engraisser une taille toujours variable.

L'émotion guide, le souffle commande et règle. Suivant la qualité d'âme de l'homme, la taille naît, vivante ou morte, et tout est là. La vie même du graveur semble en jeu.

Privé de la plupart des richesses du hasard, instrument de précision et de clarté, tout ce que le burin peut tailler dans le cuivre c'est une taille, une hachure, un sillon dont la coupe est en V et qui, à l'impression, donnera un simple fil noir.

Ce filament, ce linéament cursif, c'est avec lui seul que le graveur doit non pas tout dire, mais seulement ce qu'il a à dire : l'essentiel.

De toutes formes, de tout accent, simple, parallèle, doublée, triplée, centuplée, courbe ou rectiligne croisée droit, croisée courbe, croisée carrée, croisée losange, recroisée, surcroisée pointillée, malgré ces multiples combinaisons la taille, l'élément type d'écriture, n'est jamais qu'un simple fil noir. Ainsi est la technique du burin immuable depuis son origine.

Pauvre petit moyen, singulière angoisse que cette pauvreté devant le problème de l'expression, la suggestion merveilleuse des formes, des volumes, de la couleur, de la lumière. Mais c'est bien à cette simplicité contrainte à cet étroit passage à franchir que le burin doit, par compensation, sa force pure, sa clarté et sa richesse d'âme."



Etienne Cournault



Dans la planche ci-dessous, illustrant « Nuages », poème de La Gerbe Noire,
Louis-Joseph Soulas n'a-t-il pas réussi, tout simplement, à dire l'essentiel.
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Si l'on s'attarde en effet quelques instants devant cette illustration, ce qui frappe tout d'abord c'est le peu d'abondance de tailles, quelques traits délimitant les nuages, quelques hachures leur donnant du volume, un vol de corbeaux indiquant le mouvement, dans un ciel toujours changeant. Puis tout en bas on aperçoit la ligne de l'horizon, et c'est là qu'intervient la magie. Car c'est cette ligne d'horizon, composée seulement de quelques tailles, qui fait apparaître l'immensité du paysage. L'horizon, une pointe de clocher, quelques arbres, minuscules, quelques meules de paille peut-être, sur la gauche, et l'on a la vision de l'infini.